En musique, le jeu improvisé, vivant, est un moment de vérité et d'émotion.

Bruno Tocanne et Catherine Delaunay se jouent, plus qu'ils ne jouent, dans une écoute attentive et réciproque. Ils se jouent dans l'instant présent, dans une expérience musicale unique, qui s'apparente autant à une quête mystique qu'esthétique: conscience exacerbée de son identité, de l'existence, présence au monde sonore qui nous entoure.

Il n'y a rien à exécuter, simplement à être soi-même, avec son univers intérieur, ses influences musicales, sa maîtrise de l'instrument, et son désir de partager et de créer une musique spontanée et originale.

Le corps souffre, s'implique, se libère; phrasé, tenue du souffle, concentration et jeu musculaire autour de la pulsation rythmique: anticipation du temps, retard, variations subtiles des timbres et de l'intensité de la frappe. Bruno Tocanne fait sonner les peaux de ses tambours avec finesse, précision. Il foisonne, frissonne, frémit, bruisse et ponctue avec à propos les mélodies de sa compagne, s'appropriant la pulsation d'une manière personnelle et inventive.

Le discours de Catherine Delaunay est rafraîchissant. On est loin des improvisations convenues, et des clichés conventionnels. Les notes se cherchent, les mélodies s'élaborent, se construisent au fil de l'échange. Catherine Delaunay montre son attachement à la mélodie, jamais figée, qui se transforme, évolue, phrases mélodiques rejouées, répétées; complicité de l'autre et du silence.

Dans ce jeu à trois, le sonore prend une qualité, une densité inattendue, magique. On est heureux que cette musique existe, faite à la fois d'exubérances et de retenues, et qui témoigne avant tout du bonheur de jouer, d'être ensemble et libres dans cette expérience musicale singulière qu'est l'improvisation. On est touché par cette connivence joyeuse, cette expression généreuse et créatrice.

Ainsi, on se plaît à penser que la musique improvisée a encore de beaux jours devant elle.

Guy SAVIO, janvier 2001,Jazz et musiques improvisées.